Pour Alexandra Picard, 51 ans, la mère de Célia, c’est presque comme si sa fille de 10 ans mourait une seconde fois. « La relance de cette affaire l’a replongée dans le deuil, nous confie son avocat, Georges Rimondi, du barreau de Thonon-les-Bains, du Léman et du Genevois. Elle est dévastée, elle a du mal à exprimer les choses. Les réseaux sociaux s’en sont mêlés, avec leur lot de délires. La mère de Célia est sollicitée par eux, mais elle préfère le silence. Avec son assentiment, j’interviens pour transmettre les seuls éléments utiles à la manifestation de la vérité. »
La diffusion du nouvel appel à témoins lancé par Europol a réveillé la douleur intolérable. Cette femme revit cet atroce 12 mai 2022 lorsque, vers 17 heures, son fils cadet, 18 ans alors, lui téléphone en hurlant : « Maman, maman, viens, viens vite, Célia est morte. »
Au rez-de-chaussée du chalet familial de Veigy-Foncenex (Haute-Savoie), Bastien a découvert sa petite sœur inanimée. Elle est assise sur le canapé de la chambre-bureau, les yeux ouverts, la tête penchée et posée sur un tas de vêtements. Son bras gauche est partiellement noirci. Une odeur de brûlé a envahi la pièce. Pour l’en protéger, la croyant juste évanouie, Bastien a installé Célia sur un transat du jardin. Il la secoue, crie son nom. Ensuite il tente de prévenir son père. Son frère Anthony, 21 ans, et sa mère tentent, eux aussi, de l’alerter. En vain.
Cyrille Picard, 54 ans, ne décroche pas. Bizarrement, son portable ne sonne même pas, comme s’il était éteint. Mère et fils sont alors à cent lieues d’imaginer la réalité du drame. Pour cela, il faudra attendre l’arrivée du médecin légiste.
Le corps de l’enfant porte des traces de coups
Car les pompiers pensent d’abord à un accident domestique : le feu, parti du pied du canapé, mais qui n’a pas réellement pris, leur fait penser à l’explosion d’un ordinateur. Dans la pièce, çà et là, des petites traces noirâtres. C’est tout. Enfin, le médecin légiste se présente chemin des Échouillats, en milieu de soirée. Il ne lui faut pas longtemps pour diagnostiquer une asphyxie dite « mécanique » : Célia a été étouffée ou étranglée et l’auteur des faits l’a attaquée par derrière. Son corps porte des traces de coups. Comment annoncer tout ça à la famille ?
Les gendarmes arrivent en nombre, se déploient avec leurs chiens dans les alentours. Le lendemain, dès l’aube, on dépêche l’hélico du peloton de haute gendarmerie de Chamonix, qui survole pendant des heures les Chablais savoyard, valaisan et vaudois. Pour les enquêteurs, tout accuse le père.
Ils interrogent la mère sur leur vie intime. « Contexte conjugal compliqué », résume pudiquement Line Bonnet-Mathis, procureure du tribunal judiciaire d’Annecy, dont le pôle criminel, épaulé par deux juges, instruit cette énigme depuis mai 2022 avec la section de recherches de Chambéry.
Cyrille Picard a adopté les thèses complotistes, il s’est isolé, renfermé, il a même changé d’apparence physique.
Me Georges Rimondi
En pleine pandémie, le couple, après vingt et une années de vie commune, s’est délité. « Cyrille Picard a adopté les thèses complotistes, il s’est isolé, renfermé, il a même changé d’apparence physique », poursuit Me Georges Rimondi. Il a voulu que Célia soit inscrite dans une école suisse – il en trouvera une à 15 kilomètres de Veigy –, car les règles sanitaires sont plus souples. Pourquoi ne pas accepter si cela pouvait apaiser les tensions ? La mère de Célia travaille à Genève, elle déposera l’enfant en chemin.
Alexandra Picard, cadre dans une agence de voyages d’affaires, gagne confortablement sa vie. Le mari, lui, retape des maisons qu’il revend. Ses revenus, quoique conséquents, sont plus modestes. Il sillonne la région à bord de son Citroën Jumpy blanc, un utilitaire qu’il a aménagé : lit couchette, sac isotherme, glacière, ustensiles de cuisine. C’est un peu le foutoir, mais il peut vivre avec très peu. Sa femme a pris l’habitude de le voir partir une, parfois deux semaines, dans cet équipage. Mais, depuis le Covid, voilà maintenant qu’il organise des raids en forêt ou en montagne avec ses nouveaux amis, complotistes comme lui, mais de surcroît survivalistes, qui se préparent, en pleine nature, à affronter l’Apocalypse.
À la fin de l’été 2021, le couple semble à bout de souffle. Ni violence, ni amant, ni maîtresse, mais le silence. La solitude à deux. Pourtant, ils veulent encore y croire et, en octobre, Cyrille et Alexandra consultent une conseillère conjugale. Au bout de sept mois, il semble évident à la thérapeute que l’épouse envisage le divorce. Rien n’est encore acté. Alors, comme une dernière chance, elle leur suggère de se séparer, pour seulement quelques jours. Il est convenu qu’Alexandra Picard logera à l’hôtel. On est le 7 mai… Cinq jours avant la tragédie.
Cyrille Picard est-il en fuite ou s’est-il donné la mort ?
Cyrille Picard reste seul avec ses enfants. Les témoignages sont unanimes : il adore sa « petite dernière ». C’est l’occasion de partager pleinement ces moments. À ses fils, il dit que « quand maman reviendra », il partira probablement en Charente « pour [se] ressourcer, réfléchir ». Les grands-parents possèdent là-bas une résidence secondaire, où Cyrille Picard a passé l’essentiel de ses vacances d’enfant.
Le 12 mai 2022 au matin, il appelle une amie du couple censée conduire sa fille à l’école, avec d’autres élèves. « Célia est souffrante », dit-il. Est-ce vrai ? Est-elle déjà morte ? Dans le jardin, les enquêteurs retrouveront un bidon vide de White Spirit avec lequel on a tenté de provoquer l’incendie. Les proches du dossier tournent ces questions dans leur tête, à se réveiller la nuit : ils n’osent imaginer qu’un père préfère voir son enfant mort plutôt qu’heureux sans lui, qu’il veuille se venger de sa femme au point de l’anéantir.
Même à cette question simple – Cyrille Picard est-il en fuite ou s’est-il donné la mort ? –, ils ne peuvent pas répondre. Tout dépend, si l’on en croit les spécialistes les plus aguerris du labyrinthe des esprits criminels, de son degré de conscience ou de son degré de déni. Au demeurant, il reste présumé innocent.
Peu avant 17 heures, le 12 mai, une habitante de Veigy aperçoit le Citroën sortir du chemin des Échouillats. La plaque est ensuite flashée à l’un des nombreux postes frontières. Le 14 en fin de journée, une autre caméra, rue Labat, dans le quartier de Montmartre, à Paris, montre Cyrille Picard pénétrant dans l’immeuble de ses parents. La procureure Line Bonnet-Mathis précise : « Il a certainement emprunté des petites routes secondaires. Lors de ces vingt-quatre heures, aucun signe de sa voiture sur les axes surveillés n’a été enregistré, aucune trace bancaire ni de téléphonie relevée. »
Un passage à Paris
Rue Labat, ce 14 au soir, la voisine du dessous entend des bruits de pas et s’en étonne. Dans son esprit, M. et Mme Picard sont en Charente, elle doit d’ailleurs leur faire suivre le courrier qui s’accumule. Cyrille Picard ressort de l’immeuble parental dans la nuit du 14 au 15 mai. À 5 h 37, le 15, la caméra du supermarché U Express de Meschers-sur-Gironde, près de Royan, filme son Jumpy se garant devant l’abri des chariots. À 5 h 46, la porte côté passager s’ouvre, un chien sort du véhicule. Il s’agit de Tyson, un tout jeune American Staffordshire dont Cyrille Picard a récemment fait l’acquisition. C’est un animal puissant, bourré d’énergie, indépendant et têtu, passablement dangereux – un chien pour survivaliste, en somme – mais totalement dévoué à son maître.
Dans son périple, il y a un côté improvisé, hasardeux, l’autre construit, presque prémédité.
Un enquêteur
À 5 h 49, le conducteur ouvre le coffre arrière, farfouille dans l’habitacle, le chien à ses pieds. Il quitte le parking à pied, sans hâte suspecte, direction la nationale, où la caméra le perd. Sur les dernières images, Cyrille Picard porte un pantalon noir, un objet blanc à la main, de grande taille, apparemment enveloppé mais impossible à identifier. Sur la tête, il a ramené une capuche et, par-dessus, a enfilé une casquette. Mais la plaque d’immatriculation, très visible, le désigne. « Dans son périple, il y a un côté improvisé, hasardeux, l’autre construit, presque prémédité », glisse un enquêteur.
Cyrille Picard a-t-il voulu, à la Xavier Dupont de Ligonnès, laisser croire qu’il poursuivait sa route ? Dans le véhicule abandonné, nulle trace d’un ADN inconnu, seulement une gamelle, celle de Tyson, rapportée de Veigy, avec un « paquet de croquettes conséquent », comme si le voyage allait durer. Il ne contacte pas ses parents. Ces derniers se sont même étonnés que leur fils possède encore les clés de leur appartement parisien. Les rapports sont distants. Idem, d’ailleurs avec ses beaux-parents. Le 15, des gendarmes investissent la rue Labat. La voisine du dessous est témoin de la perquisition. On ouvre la porte et, dès l’entrée, une forte odeur de brûlé, là encore, les saisit à la gorge. Elle provient de la chambre d’enfant de Cyrille Picard : on a tenté d’y mettre le feu…
Chaque question que je me pose en appelle une autre, j’en perds mon latin.
Un enquêteur
Le sachant excellent « voileux » – il navigue sur le lac Léman –, l’instruction file en parallèle interroger toutes les capitaineries de la côte et les loueurs de bateaux ; étudier les courants marins afin de cibler les zones où chercher un corps ; signale Tyson à la SPA. Rien. Enfin, ses amis survivalistes, fortement soupçonnés un temps de l’avoir hébergé ou de le cacher, sont auditionnés.
Apparemment, Cyrille Picard n’a contacté aucun d’entre eux. « Chaque question que je me pose en appelle une autre, j’en perds mon latin », glisse un enquêteur. « On veut savoir, on veut le trouver, ajoute Line Bonnet-Mathis. Forcément, quelqu’un sait quelque chose. Et, surtout, cette famille doit pouvoir entamer son deuil. »
Cimetière de Veigy, 19 janvier 2024. Le soleil d’hiver s’incline sur la tombe de Célia. Une croix en bois, des anges en pierre, des plantes vivaces, la photo d’un cœur sur fond de ciel pur. Dix-huit mois plus tôt, à la fin de l’enterrement, sa maman avait émis le vœu que son enfant rejoigne les étoiles. La petite foule avait applaudi, timidement d’abord, puis de plus en plus fort, comme pour se faire entendre, et accompagner ce lointain voyage.
La Brigade Nationale de Recherches des Fugitifs à la rescousse
Le premier appel à témoin, diffusé en mai 2022, a été peu relayé par la presse locale et nationale. Pour relancer l’affaire, le parquet d’Annecy et la Section de Recherche de Chambéry ont donc sollicité, fin 2023, la Brigade Nationale de Recherches des Fugitifs (BNRF). Celle-ci, sous la direction du Commissaire Guillaume Lacassin a ainsi « élu » Cyrille Picard (recherché pour meurtre sur mineur de – de 15 ans et destruction par moyens dangereux) et émis un second appel. La BNRF, membre de l’organisme européen Fugitive Active Search Team, n’a, de même que les autres pays membre, droit qu’à un seul « candidat » pour l’année. Forte de 20 inspecteurs, la BNRF travaille avec les différents Parquets et services d’enquêtes de France. Elle traque les délits criminels, sexuels, financiers et autres trafiquants de drogues.
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