Sur les logements, les aménagements des espaces urbains, la gestion du littoral ou plus directement sur notre santé, « les travaux des juridictions financières mettent en évidence l’ampleur des progrès à réaliser », écrivent les magistrats dans un document publié mardi.
Le constat de la Cour des comptes est sévère. Dans son rapport sur « l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique », publié mardi 12 mars, l’institution de la rue Cambon pointe d’importants manques de la France dans ce domaine. « Les travaux des juridictions financières mettent en évidence l’ampleur des progrès à réaliser », écrit-elle. Les améliorations concernent tant les « données », que les « projections » et les « normes », précise-t-elle.
Après avoir déjà relevé, en février, le modèle des stations de ski qui « s’essouffle » , la Cour des comptes se penche sur de nombreux sujets, du logement aux transports en passant par la santé. Avec un objectif : être concrète en se mettant à hauteur des citoyens. « Nombre de mesures susceptibles d’être mises en œuvre pour répondre aux effets du réchauffement climatique vont modifier leurs conditions de vie, dans leurs aspects les plus essentiels : l’alimentation, le logement, les transports, les loisirs, etc. », prévient la Cour. Franceinfo revient sur six thèmes soulevés dans ce rapport très complet.
1Le risque sanitaire est « toujours insuffisamment maîtrisé »
Les vagues de chaleur, qui sont de plus en plus courantes avec le réchauffement climatique provoqué par les activités humaines, ont provoqué près de 33 000 décès entre 2014 et 2022, selon Santé publique France. Malgré les politiques mises en place après la canicule de 2003, « le nombre de décès enregistrés pendant les vagues de chaleur, notamment en 2020 et 2022 (respectivement près de 2 000 et 2 800 décès en excès), montre que le risque sanitaire est toujours insuffisamment maîtrisé » , estime la Cour des comptes.
Pour remédier à cette situation, celle-ci recommande de « conduire les travaux nécessaires à une meilleure connaissance des conséquences des vagues de chaleur sur la santé des personnes vulnérables », de « se doter des moyens de mieux connaître la situation sanitaire des personnes sans domicile fixe », d’élaborer une « liste des médicaments d’intérêt en cas de vague de chaleur » à « diffuser systématiquement aux professionnels de santé », et de « réaliser un inventaire du parc immobilier des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux pour évaluer son adaptation aux vagues de chaleur ».
2 Les logements ne sont pas assez protégés contre la chaleur, les inondations et la sécheresse
La Cour des comptes plaide pour une « adaptation des logements au changement climatique », notamment pour limiter les risques liés à « la hausse de la fréquence et de l’intensité des pics de chaleur ». Au total, 80% de la population vit dans un territoire qui sera exposé, sur les trente prochaines années, à entre 16 et 29 journées anormalement chaudes lors des mois de juin, juillet et août, insiste-t-elle, citant une étude de l’Insee.
Les auteurs estiment que MaPrimeRenov « ne répond que partiellement au risque de pics de chaleur », puisque seuls les logements d’outre-mer peuvent être éligibles au dispositif pour financer des travaux de protection contre la chaleur. En août 2023, le ministère du Logement s’était prononcé en faveur de la généralisation de la prise en charge des travaux liés au « confort d’été ». La Cour invite désormais le gouvernement à « confirmer l’intégration des procédés de protection solaire aux périmètres des travaux éligibles aux dispositifs de soutien à la rénovation énergétique des logements ». Par ailleurs, elle regrette que l’inclusion de la prévention des risques d’inondation à MaPrimeRenov reste pour l’heure « en suspens ».
Le rapport recommande également d’accélérer les expérimentations et les projets de recherche et développement relatifs à la prévention des sinistres causés par les inondations et par « l’accélération du phénomène de retrait et de gonflement des sols argileux », occasionné par l’alternance de périodes de pluie et de sécheresse. La synthèse du document rappelle que plus de la moitié des maisons individuelles sont situées dans des « zones moyennement ou fortement exposées » à ce risque, qui fragilise les fondations des bâtiments et provoque des fissures. Enfin, elle invite à « sensibiliser régulièrement le grand public » sur les conséquences du changement climatique sur les habitations.
3Les villes ont commencé à s’adapter « tardivement »
Outre les logements, les espaces urbains doivent aussi s’adapter à l’augmentation des températures. Les îlots de chaleur, qui transforment les villes en fournaises, deviennent un problème croissant. Le rapport souligne ainsi que Paris « est la capitale européenne la plus exposée en cas de canicule ».
« Alors qu’elles sont obligatoires depuis une dizaine d’années, les intercommunalités urbaines n’ont adopté que tardivement des stratégies d’adaptation », déplorent les auteurs du rapport. En outre, l’évaluation du coût des mesures d’adaptation à la hausse des températures reste « lacunaire ».
« Les données disponibles montrent (…) que le montant des dépenses engagées demeure à ce jour limité. »
La Cour des comptesdans son rapport
Le rapport salue cependant les mesures prises en faveur de la végétalisation des villes, « une solution émergente » qui vise à limiter les effets des vagues chaleur, mais qui doit « s’inscrire dans une trajectoire plus large ». Le développement des espaces verts et la plantation d’arbres « ne permettent pas de répondre à tous les enjeux associés aux épisodes de canicule » et doivent « s’articuler avec des mesures plus efficaces à court terme ». Sur ce sujet, elle appelle à davantage de coordination entre les différents « acteurs, dont les communes ».
4 Le réseau ferroviaire est trop vulnérable aux événements météorologiques
La Cour estime qu’il est nécessaire « d’identifier et de mesurer les coûts d’adaptation » du réseau ferroviaire et des gares, aujourd’hui vulnérables « aux événements météorologiques ». Elle pointe la « vétusté » de certaines infrastructures comme les voies, soumises à un risque de déformation en cas de fortes chaleurs ou de ruptures des rails lors des périodes de grand froid. En 2022, les aléas météorologiques « ont généré 19 % des minutes de retard imputables à SNCF Réseau ». « Ces perturbations pourraient être multipliées a minima par 2,2 voire 2,4 à l’horizon 2050 et par 8, voire 11 à l’horizon 2100 », met en garde la Cour des comptes.
Dans ce contexte, les Sages appellent les différents acteurs du secteur ferroviaire à établir une stratégie « d’adaptation structurée » qui soit « encadrée par l’Etat ». Celle-ci devra s’appuyer sur « une meilleure connaissance des conséquences opérationnelles et financières du changement climatique ». La Cour préconise également d’intégrer les prévisions climatiques « dans les normes et référentiels nationaux de conception des composantes du réseau ferroviaire et des gares ».
5Les conséquences sur l’évolution des côtes françaises ne sont pas assez anticipées
Le littoral français est en pleine évolution sous les effets conjugués du réchauffement climatique et des submersions marines. « La connaissance de l’érosion côtière est encore imparfaite mais déjà préoccupante », relève la Cour des comptes. Attirant l’attention sur les conséquences de cette problématique « insuffisamment anticipées », elle souligne que les activités et les biens qui vont être affectés à l’horizon 2050 par le déplacement du trait de côte sont encore mal identifiés. Tout comme l’estimation des impacts économiques de ce phénomène, qui reste « très parcellaire » et doit être améliorées, relèvent les Sages alors que « les enjeux correspondants se chiffrent en dizaine de milliards d’euros ».
L’impréparation est telle que « de nombreux territoires fortement affectés par l’érosion côtière ne sont toujours pas couverts par un plan de prévention des risques littoraux » et que, par conséquent, « l’urbanisation peut s’y poursuivre dans des zones menacées ». Parmi les villes concernées, absentes de la liste de la loi Climat et résilience adoptée en 2021, on trouve Berck (Pas-de-Calais), Ploemeur (Morbihan), Royan (Charente-Maritime), Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), Saint-Tropez (Var), Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) ou encore Bonifacio (Corse-du-Sud). La Cour des comptes salue toutefois les actions menées en Nouvelle-Aquitaine, région qui se distingue, selon elle, « par une couverture large et homogène en plans d’actions locaux ».
6 Le parc nucléaire et les réseaux de transport de l’électricité sont trop fragiles
Les centrales nucléaires représentent le troisième poste de consommation d’eau en France (12% de la consommation totale), derrière l’agriculture (58%) et l’eau potable (26%). Les épisodes de sécheresse, de plus en plus fréquents et intenses sous l’effet du réchauffement climatique, constituent des périodes de vulnérabilité pour les centrales nucléaires, qui ont besoin de prélever et de rejeter de l’eau dans les fleuves et rivières pour faire fonctionner leur système de refroidissement. Lors de périodes de fortes chaleurs, des centrales nucléaires sont régulièrement mises à l’arrêt, car l’eau qu’elles rejettent dépasse les températures maximales fixées par l’Autorité de sûreté nucléaire.
Afin d’éviter cette situation, la Cour des comptes conseille de « consolider et mettre à jour les fondements scientifiques justifiant les limites réglementaires de rejets thermiques » , tout en développant « la recherche et la mise en œuvre de systèmes de refroidissement sobres en eau ». Pour ce qui est des nouveaux réacteurs en construction, elle recommande vivement aux exploitants d’anticiper la conception et la localisation « au regard de la gestion de l’eau » et des « contraintes liées au climat ».
Les réseaux de transport de l’électricité sont également vulnérables. Selon la Cour des comptes, « les épisodes de chaleur extrême et les inondations, plus fréquents dans le contexte de changement climatique, sont susceptibles d’affecter les réseaux électriques ». Pour limiter ces risques, les Sages encouragent entre autres l’exécutif à modifier l’arrêté qui fixe « les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributeurs d’énergie électrique pour prendre en compte l’évolution des risques liés au changement climatique ».
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s’est réchauffée de 1,1°C . Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l’avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.
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