Présenté en compétition au Festival du film de société de Royan, La Pie Voleuse explore avec finesse les thèmes de la précarité, de la solidarité et de l’accès à la culture. À l’occasion de sa venue au festival, Robert Guédiguian s’est confié sur cette nouvelle œuvre, à la croisée de ses préoccupations sociales et de son amour pour la lumière méditerranéenne. Une rencontre avec un cinéaste dont l’engagement ne faiblit pas.

Au cœur du récit, Maria, une aide à domicile, vole discrètement chez ses employeurs. Mais derrière ces petits larcins se cache une ambition plus grande : offrir à son petit-fils un avenir où la musique et l’art ne seraient pas des privilèges.

Interview avec Robert Guédiguian

Bulles de Culture : La Pie Voleuse soulève une questions centrale qu’on a envie de vous poser directement. Pensez-vous que l’accès au superflu, au-delà du nécessaire vital, est un droit fondamental ?

Robert Guédiguian : Bien sûr ! Se limiter au strict minimum – un toit, quelques vêtements, de quoi se nourrir – serait d’une tristesse infinie. Cela me rappelle mes études en sciences sociales. J’avais étudié les débats autour de la création du SMIC en 1950. Les patrons et syndicats discutaient pour définir le « minimum vital ». Ce minimum excluait les loisirs, comme aller au cinéma ou manger des huîtres. Pire encore, il était convenu qu’un ouvrier n’avait besoin que d’un seul costume, pour son mariage et son enterrement. Ces débats étaient effroyables et reflétaient une vision réductrice de la vie humaine.

Bulles de Culture : Votre personnage principal vole autant par nécessité que par désir de goûter à des plaisirs souvent jugés « non essentiels ». Que racontez-vous à travers ces larcins ?

Robert Guédiguian : Elle vole avec parcimonie, presque méthodiquement. C’est comme si elle s’octroyait des « heures supplémentaires » que personne ne lui paie. Elle vole non seulement pour subvenir à ses besoins, mais aussi pour s’offrir des moments d’évasion – écouter Liszt en dégustant des huîtres, ou permettre à son petit-fils de prendre des cours de piano. Cela pose une question centrale : la culture et la beauté sont-elles réservées à une élite ou accessibles à tous ?

“L’Estaque, c’est mon berceau”

Bulles de Culture : Pourquoi revenir tourner à l’Estaque, ce quartier emblématique de Marseille, dans lequel vous n’aviez pas tourné depuis Les neiges du Kilimandjaro (2011) ?

Robert Guédiguian : L’Estaque, c’est mon berceau. J’y suis né et j’y retourne régulièrement, comme un point de repère. Ce quartier a une histoire fascinante : il a vu passer des peintres comme Cézanne et Braque, attirés par sa lumière exceptionnelle. C’était un village de pêcheurs au XIXᵉ siècle, devenu ensuite un quartier ouvrier marqué par les usines de pétrochimie. Aujourd’hui, il reflète les mutations sociales et urbaines. Tourner là-bas, c’est mesurer l’état du monde ouvrier, de ses solidarités et de ses luttes.

Bulles de Culture : Votre film s’ouvre sur un braquage avant de basculer vers les vols commis par le personnage de Maria auprès des personnes âgées qu’elle assiste. Pourquoi ce choix narratif ?

Robert Guédiguian : Le titre du film, La Pie Voleuse, annonce déjà le thème du vol. Je voulais montrer différentes dimensions du vol : celui, des braqueurs, qui est du “mauvais vol” et celui, presque « moral », de Maria, qui redistribue à sa manière ce que la société refuse de partager. C’est une fausse piste narrative comme j’aime les faire.

Bulles de Culture : Vos comédiens fétiches, comme Ariane Ascaride, sont encore au rendez-vous. Continuent-ils de vous surprendre ?

Robert Guédiguian : Toujours ! Un acteur qui ne surprend pas n’est pas un bon acteur. Je ne fais jamais de répétitions, car j’aime découvrir leurs propositions directement sur le plateau. C’est comme recevoir un cadeau de Noël. Ariane, Jean-Pierre Darroussin ou Gérard Meylan m’émerveillent constamment. Mais j’ai aussi découvert Marielou Aussilloux, une jeune actrice talentueuse qui joue Jennifer. Elle apporte une fraîcheur qui enrichit le film.

“Sous ce soleil éclatant, les tragédies prennent une dimension particulière”

Bulles de Culture : Votre travail s’ancre dans une esthétique du contraste. Comment utilisez-vous la lumière méditerranéenne pour sublimer vos histoires ?

Robert Guédiguian : La lumière du Sud est directe, tranchante, presque implacable. Elle amplifie les contrastes, aussi bien dans l’image que dans la narration. Sous ce soleil éclatant, les tragédies prennent une dimension particulière. Camus disait que « tout ce qui est tragique se fait sous un soleil implacable ». Cela correspond à ma manière de filmer : montrer les blessures sociales dans un écrin lumineux, presque ironique.

Bulles de Culture : La poésie, notamment avec Victor Hugo, occupe une place particulière dans ce film. Pourquoi ce choix ?

Robert Guédiguian : J’ai intégré un extrait du poème Les Pauvres Gens, qui avait déjà inspiré mon film Les Neiges du Kilimandjaro. Ce texte est d’une puissance émotionnelle incroyable. Lorsque Jean-Pierre Daroussin le récite dans La Pie Voleuse, tout le plateau a été bouleversé. C’est un hommage à ma propre œuvre, mais aussi une manière de souligner la dignité des humbles, thème récurrent de mes films.

En savoir plus :

• Date de sortie France : 29/01/2024
• Diaphana Films

Toujours à défendre le cinéma français, j’aime particulièrement faire découvrir les films à petites sorties mais à portée universelle.

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